On entend beaucoup parler de crise budgétaire, de déficits, de restrictions, d’inflation.
Tout semble sous tension : les services publics, les collectivités, les associations, les ménages. Dans ce contexte, on pourrait croire que, lorsque la croissance repart, cela finira bien par « rattraper » le reste.

Mais les données sur le progrès réel racontent une autre histoire : celle d’une économie qui produit davantage… sans forcément améliorer la qualité de vie collective.

QUAND LA CROISSANCE NE DIT PLUS LA VÉRITE

Dès 1934, Simon Kuznets, “père” du PIB, prévenait : « Le bien-être d’une nation peut difficilement être déduit d’une mesure du revenu national. »[i]

Comme le souligne Michaël V. Dandrieux lors d’une conférence du B Corp Summit 2025, le PIB mesure avant tout l’agitation des sociétés, bien plus que la valeur produite en termes de bien-être.

L’indicateur de progrès véritable (IPV) illustre cette nuance :

  • il ajoute ce que la croissance oublie (bénévolat, garde d’enfants, solidarités, éducation populaire…);
  • et retire ce qu’elle ne comptabilise pas (pollution, maladies, isolement, inégalités).

Les travaux d’Ida Kubiszewski et Robert Costanza montrent qu’à partir de la fin des années 1970, le PIB mondial par habitant continue d’augmenter, tandis que l’IPV stagne puis recule [ii].

Autrement dit : nous produisons plus… mais nous progressons moins.

Un exemple simple :
Raser une forêt, transformer le bois, l’exporter => croissance du PIB.
Préserver cette forêt, protéger les écosystèmes => zéro impact sur le PIB.
Et pourtant, nous savons bien laquelle des deux actions crée la plus grande valeur pour l’avenir.

C’est là que l’Économie sociale et solidaire (ESS) devient centrale.

 

QUAND L’ESS PORTE CE QUE LES CHIFFRES NE MONTRENT PAS

En France, l’ESS représente 2,7 millions de salarié(e)s en 2024, soit 10 % de l’emploi et 14 % de l’emploi privé, au sein d’environ 150 000 employeurs.[iii]

 

Mais sa contribution réelle dépasse largement ces chiffres.

Chaque année, les structures de l’ESS :
– accueillent des millions de personnes en difficulté ;
– soutiennent la santé, l’insertion, la culture, l’éducation populaire ;
– accompagnent des personnes en situation de handicap ;
– recréent du lien social dans un pays où l’isolement progresse.

Quelques ordres de grandeur :
– 2,4 millions de personnes accompagnées via le réseau des Banques Alimentaires en 2023-2024 [iv]  ;
– 1,3 million de personnes accueillies et 161 millions de repas distribués par les Restos du Cœur en 2024-2025 [v]  ;
– environ 1 million de patient(e)s soigné(e)s chaque année grâce au don du sang en France [vi]  ;
– 750 000 personnes âgées vivent aujourd’hui en “mort sociale” : sans visites, sans appels réguliers, sans participation à une vie de quartier, associative ou familiale… autrement dit sans relations sociales réelles au quotidien. Elles étaient 530 000 en 2021. [vii]

Sans l’ESS, l’isolement gagnerait encore du terrain, et ce sont toutes ces solidarités du quotidien qui se fragiliseraient immédiatement.

 

 

UNE COLONNE INVISIBLE… SOUS PRESSION PERMANENTE

L’ESS fait face à une combinaison de tensions inédites :
– plus de personnes aidées ;
– moins de petits dons, moins de nouveaux donateurs ;
– des subventions publiques qui stagnent ;
– des besoins numériques croissants ;
– une concurrence accrue dans certains secteurs sociaux.[vii]

 

Une nouvelle difficulté s’ajoute : depuis octobre 2025, Meta interdit la publicité payante liée aux enjeux sociaux et politiques dans l’UE.
Un canal essentiel de collecte et de visibilité disparaît pour les associations.
Les acteurs du fundraising (EFA, Coordination SUD, iRaiser…) alertent : les associations les plus dépendantes de la collecte digitale seront les plus touchées. [ix]

 

Plus de besoins, moins de marges de manœuvre, moins de visibilité.
L’équation est simple… et préoccupante.

ET POURTANT : UNE ÉNERGIE NOUVELLE

Pour autant, l’engagement ne disparaît pas : il se transforme.
Le Z Event en est l’exemple emblématique : chaque année, il fédère des communautés entières autour de grandes causes.
Depuis 2021, chaque édition dépasse les 10 millions d’euros collectés. Et en 2025, le record vient d’être battu : 16 millions d’euros réunis en un week-end.[x]

L’envie d’aider reste forte, notamment chez les jeunes. Elle prend d’autres formes, plus numériques, plus collectives.

 

CE QUE CELA IMPLIQUE POUR LES ENTREPRISES

L’ESS ne peut plus assumer seule une telle charge.
Le mécénat, financier comme de compétences, n’est plus un geste d’image.
C’est devenu un levier structurant pour permettre à des missions essentielles d’exister… ou simplement de tenir.

Selon le Baromètre Admical 2024[xi]  :
– plus de 170 000 entreprises sont mécènes ;
– 16 % proposent du mécénat de compétences ;
– 20 % souhaitent renforcer leurs actions dans les deux ans.

Le mécénat de compétences apporte ce que beaucoup d’associations n’ont plus les moyens d’acheter[xii]  :
– expertise numérique, cybersécurité, stratégie, RH, pilotage de projet ;
– et parfois, tout simplement, du temps.

C’est dans cet esprit que nous avons rejoint l’Alliance pour le mécénat de compétences et l’Alliance Numérique & IA pour les associations, et structuré SoliDav, notre programme d’engagement solidaire des salarié(e)s.

 

 

 

 

 

 

Mais une question demeure : comment en mesurer l’effet pour être certain de quantifier ce qui compte vraiment ?


COMMENT ON EN MESURE L’IMPACT

Lorsque l’on parle de mécénat d’entreprise, il est tentant de s’arrêter aux chiffres simples : nombre d’heures, nombre de missions, nombre de participant(e)s.
Ces données sont utiles… mais elles ne disent pas ce que ces heures ont réellement changé.

C’est pour dépasser cette limite que nous avons déployé la mesure d’impact de Komeet. Elle analyse les effets concrets de chaque mission : pour les bénéficiaires, pour les associations, et parfois pour leur environnement d’action.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

mais ils soulignent une évidence : chaque heure, chaque geste, chaque compétence partagée produit du lien, du soutien, du mieux. Et c’est précisément ce qui donne tout son sens au mécénat de compétences.

 

FINALEMENT, LE RAPPEL D’UNE ÉVIDENCE 

Le progrès ne se mesure pas à ce que l’on produit.
Le progrès, c’est ce que l’on protège, ce que l’on améliore pour les autres, ce que l’on rend possible.

L’ESS fait cela depuis toujours.
Le mécénat l’aide à le poursuivre.
Et la mesure d’impact, mission après mission, nous rappelle une chose simple : ce que nous faisons ensemble transforme infiniment plus que ce que nous produisons chacun de notre côté.

L’économie que nous avons construite n’est pas forcément celle dont nous avons besoin.

Le mécénat, et plus largement l’alliance entre associations et entreprises, ouvre une voie différente : passer d’une économie qui nous use à une économie qui nous élève et nous rassemble.

 

Et si, demain, en plus du chiffre d’affaires, les entreprises publiaient aussi un indicateur de progrès solidaire, capable d’évaluer de manière transparente leur impact direct sur la société et les écosystèmes ?

 

Peut-être commencerions-nous alors à mesurer ce qui compte vraiment.

 

 

[i] Rapport original de 1934 au Sénat américain
Titre : National Income, 1929–1932. Letter from the Acting Secretary of Commerce transmitting in response to Senate Resolution No. 220
https://fraser.stlouisfed.org/files/docs/publications/natincome_1934/19340104_nationalinc.pdf

[ii] Site de Robert Costanza :
https://www.robertcostanza.com/wp-content/uploads/2017/02/2013_J_Kubiszewski_GlobalGPI.pdf

[iii] Note conjoncturelle ESS France T2 2024 :
https://www.ess-france.org/system/files/2025-01/ESS_note_conjoncture_T2_2024.pdf

[iv] Rapport d’activité 2023 (Fédération Française des Banques Alimentaires)
https://www.banquealimentaire.org/sites/default/files/2024-07/BANQUES_ALIMENTAIRE_RA_2023_41_CS_compressed_1.pdf

[v] Site officiel Restos du Cœur – Page “Les Restos aujourd’hui” :
https://www.restosducoeur.org/presentation/

[vi] Site officiel EFS – “Donneurs de sang : les visages et les chiffres d’un engagement vital” (juin 2025, données 2024) :
https://www.efs.sante.fr/donneurs-de-sang-les-visages-et-les-chiffres-dun-engagement-vital

[vii] Site officiel Petits Frères des Pauvres – 3ᵉ Baromètre 2025 (30 septembre 2025) :
https://www.petitsfreresdespauvres.fr/sinformer/prises-de-position/3e-barometre-de-lisolement-des-personnes-agees-en-france-2025

[viii] Note conjoncturelle ESS France T2 2024 (janvier 2025) :
https://www.ess-france.org/system/files/2025-01/ESS_note_conjoncture_T2_2024.pdf

[ix] France Générosités (EFA) – 8 octobre 2025 (alerte détaillée) https://www.francegenerosites.org/actualites/fin-des-publicites-a-enjeux-politiques-et-sociaux-sur-meta-nouvelles-precisions-et-calendrier/

[x] Site officiel ZEVENT : https://zevent.fr/

[xi] Page Admical officielle – Baromètre 2024 (février 2025) :
https://admical.org/contenu/barometre-du-mecenat-dentreprise-2024

[xii] MonEntrepriseInclusive (juillet 2025)
https://www.monentrepriseinclusive.com/mecenat-competences-avantages/